C’est un film qui fait sentir aux spectateurs des villes à quel point ils sont privilégiés pour avoir accès à un droit élémentaire, celui de l’accès à l’eau. Par la force de ses témoignages d’hommes et de femmes qui combattent la soif chaque jour, partant parfois très loin à la recherche de l’eau, le documentaire aborde le problème de la marginalisation des régions intérieures et leur constant oubli presque dix ans après la Révolution.
A Toujen, Nefta, Redeyef, Ksar Ouled Soltane, Sidi Saâd, Oueslatiya…des Tunisiens souffrent de coupures d’eau qui peuvent durer des mois ou de l’absence carrément de l’adduction de leurs territoires à l’eau potable, l’eau de la Sonede et de l’Etat.
«On vit à peine !»
Parmi ces assoiffés tunisiens, qui se sentent, d’après leurs mots,des exclus de la République, des moins que rien. «On vit à peine ! », s’exclame une vieille dame, certains s’abreuvent des mêmes citernes que leur bétail, une eau trouble et puante causant des maladies mortelles à beaucoup d’entre eux. D’autres, vivant comme leurs ancêtres dans des régions agricoles, ont vu leur bétail mourir et leurs arbres fruitiers dépérir devant l’indifférence des autorités et surtout une si mauvaise gestion de la gouvernance de l’eau. «Une gestion entachée de corruption», selon un témoin.
Poignante est la posture de ce père, qui ne sait quoi répondre à ses enfants l’accusant de les avoir fait naître dans un village où l’on meurt de la pénurie d’eau.
Le film démontre que des milliers d’hommes et de femmes sont attachés à leur lieu de naissance mais ne peuvent s’empêcher de penser à l’exode : «Pourquoi sommes-nous privés de tout ici : les crèches pour nos enfants, les routes pour nous déplacer et l’eau pour vivre alors qu’en ville ils ont tout ? », s’interrogent-ils.
On touche à l’absurde lorsque des régions de sources au nord-ouest de la Tunisie voient leur eau partir, dans la nature sans être recueillie, pour arroser et étancher la soif des zones démunies d’eau potable. Ou encore lorsque le magnifique site berbère historique de Ksar Ouled Soltane, qui pourtant illustre le billet de 20 Dinars, est déserté par les touristes pour un problème d’hygiène dû au manque d’eau, privant ainsi les populations vivant sur les lieux de ressources importantes.
Empruntant les techniques du reportage humaniste, le film de Ridha Tlili est un magnifique scan du paysage socio-économique des régions victimes des inégalités régionales provoquées avant 2011 et auxquelles les élections politiques successives post-révolution n’ont rien pu changer.